« Chaque peuple a sa morale qui est déterminée par les conditions dans lesquelles il vit. On ne peut donc lui en inculquer une autre, si élevée qu’elle soit, sans le désorganiser, et de tels troubles ne peuvent pas ne pas être douloureusement ressentis par les particuliers.
Mais la morale de chaque société, prise en elle-même, ne comporte-t-elle pas un développement indéfini des vertus qu’elle recommande ? Nullement. Agir moralement, c’est faire son devoir, et tout devoir est fini.
Il est limité par les autres devoirs ; on ne peut se donner trop complètement à autrui sans s’abandonner soi-même ; on ne peut développer à l’excès sa personnalité sans tomber dans l’égoïsme.
D’autre part, l’ensemble de nos devoirs est lui-même limité par les autres exigences de notre nature. S’il est nécessaire que certaines formes de la conduite soient soumises à cette réglementation impérative qui est caractéristique de la moralité, il en est d’autres, au contraire, qui y sont naturellement réfractaires et qui pourtant sont essentielles.
La morale ne peut régenter outre mesure les fonctions industrielles, commerciales, etc., sans les paralyser, et cependant elles sont vitales ; ainsi, considérer la richesse comme immorale n’est pas une erreur moins funeste que de voir dans la richesse le bien par excellence.
Il peut donc y avoir des excès de morale, dont la morale, d’ailleurs, est la première à souffrir ; car, comme elle a pour objet immédiat de régler notre vie temporelle, elle ne peut nous en détourner sans tarir elle-même la matière à laquelle elle s’applique.
» Alors, les premières phrases du texte étaient vraiment très trompeuses, et si on gardait en mémoire en permanence ce début on risquait vraiment de faire un gros contre-sens sur le texte ; en fait on doit comprendre que ce début est une simple introduction en quelque sorte du thème.
Moi-même je vous avoue que pendant la première demi-heure je dirais de l’épreuve vraiment l’impression, en travaillant un peu le texte brouillon, que je ne le comprenais pas bien, que des choses clochaient, qu’il y avait un manque de logique quelque part, mais c’est parce que j’avais le présupposé suivant lequel c’était le début qui devait vraiment nous guider sur l’ensemble du texte, alors qu’en fait pas du tout.

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On a vraiment l’impression qu’on va avoir un texte qui porte sur ce qu’on appelle le relativisme des valeurs, alors qu’en vérité ce n’est absolument pas le cas, le sujet véritable nous est donné plus tôt à partir de la ligne 3-4 : « la morale de chaque société prise en elle-même ne comporte-t-elle pas un développement indéfinie des vertus qu’elle recommande ? » « tout devoir est fini » « l’ensemble de nos devoirs est lui-même limité », « la morale ne peut régenter outre mesure… » « il peut donc y avoir des excès de morale ».
Ces cinq extraits du texte suffisent pour nous montrer que le sujet véritable a à voir avec le caractère fini ou infini, limité ou illimité du développement de la moralité. C’est un sujet assez complexe, j’ai relu des extraits de l’ouvrage pour voir le contexte du passage et honnêtement les enjeux du texte pour Durkheim sont vraiment impossible à deviner sans le contexte, donc évidemment dans le cadre du bac on veut en faire totalement abstraction ; je vais vous proposer un corrigé possible pour ce sujet, sachant qu’il y a toujours plusieurs façons possibles de présenter les choses, et je vais appliquer les différentes règles de méthodes dont j’ai parlé dans ma vidéo sur la méthode de l’explication de texte.
L’introduction va suivre le plan type de l’introduction : thème, question, thèse, thèse adverse, plan, avec quelques lignes supplémentaires d’explicitation de la thèse, et ensuite dans le développement on appliquera les différentes stratégies que sont la reformulation, l’analyse de notions, l’exemplification, la discussion critique, etc.
Alors allons-y pour l’introduction : dans le texte de Durkheim que nous allons expliquer, extrait de son ouvrage De la division du travail social, l’auteur aborde les thèmes du devoir et de la morale.
La question à laquelle il répond est la suivante : les exigences du devoir moral sont-elles limitées ou illimitées ? Autrement dit, il s’agit de se demander si on doit penser qu’un développement indéfini de la moralité serait possible et souhaitable.
La thèse de l’auteur est la suivante : les exigences de la morale sont essentiellement finies, de sorte qu’il peut exister des excès en morale ; ainsi selon Durkheim, il est possible mais pas souhaitable d’en faire trop en matière de moralité, il y a une limite à ne pas franchir.
On peut le comprendre par analogie avec d’autres types de préoccupations : il est possible mais pas souhaitable par exemple de trop manger, ou de trop boire, de trop dormir, de trop se reposer, ou de trop travailler, de faire trop de sport etc.
etc. de même il serait possible mais pas souhaitable d’aller trop loin pour ce qui concerne la moralité. Cette thèse s’oppose à celle selon laquelle on pourrait appeler nos vœux un développement de plus en plus poussé de la moralité, un progrès indéfini de la moralité.
Par parenthèse, ça ce n’est pas quelque chose à mettre dans l’introduction, mais on pourrait construire toute une opposition entre Durkheim et Kant, parce que dans la Critique de la raison pratique notamment, Kant envisage justement l’idée d’un progrès indéfini de la moralité.
En vérité ce n’est pas du tout l’adversaire explicite de Durkheim quand on regarde l’ouvrage, donc c’est simplement un débat que l’on pourrait faire naître quand on a que sous les yeux le texte du bac.
Fin de la parenthèse, je reprends mon introduction. Le texte procède en plusieurs temps : dans un premier temps Durkheim introduit le thème de la moralité et la question qui est la sienne sur un développement potentiellement infini des exigences morales ; dans un deuxième temps, il développe le premier sens de sa thèse : il s’agit de montrer que chaque devoir, chaque exigence morale particulière est limitée par les autres devoirs au sein d’une morale donnée, de sorte qu’aucune augmentation de moralité n’est possible ; dans un troisième et dernier temps, ligne 9 à 19 Durkheim développe sa thèse concernant le caractère fini de la moralité dans un deuxième sens : la morale est limitée par nos besoins naturels, notamment par nos besoins vitaux, de sorte qu’il serait dangereux pour la morale elle-même d’exagérer ses exigences (on pourrait dire aussi d’outrer ses exigences).
Passons au développement : le premier passage du texte, on pourrait dire que sa fonction argumentative c’est d’introduire le thème, à savoir la morale, et ensuite d’introduire la question que Durkheim va poser ; mais il était d’autant plus difficile de comprendre qu’on n’est pas encore vraiment rentré dans la thèse du texte que Durkheim s’attarde un petit peu quand même, 3-4 lignes, sur cette question de « chaque peuple a sa morale » « elle est appropriée à l’endroit ou aux conditions dans lesquelles il vit » ; il ajoute : on ne peut donc lui en inculquer une autre, on pourrait avoir l’impression que l’on va devoir parler du rapport entre les différentes cultures, de la colonisation pourquoi pas, d’ailleurs probablement c’est à ça que fait allusion Durkheim au début de ce texte : des pleuples colonisés, un colonisateur qui essait d’imposer finalement une nouvelle morale… il était possible de parler de tout cela mais il ne fallait pas que cela devienne le centre ou le cœur même du texte, car en fait si on lit la fin du texte, enfin tout le reste, on s’aperçoit que c’est un problème mineur dans le texte.
On pourrait aussi présenter ce début d’une autre manière, en disant au fond Durkheim anticipe une objection qu’on pourrait lui faire : lui son but, c’est de parler de la moralité en général, de savoir si elle est finie ou infinie, s’il faut limiter les exigences morales ou pas, s’il est souhaitable de le faire, et on pourrait dire : « tout dépend en fait de la morale », c’est-à-dire : chacun fait ce qu’il veut, les différents peuples ont différentes morales, et donc au fond il n’y a pas de questions philosophiques à se poser sur ce sujet.
Durkheim s’accorde en fait en partie avec cette objection qu’on pourrait lui faire, au sens où il reconnaît qu’ il y a différents systèmes de valeur, différents systèmes du bien et du mal, du légitime et de l’illégitime, qu’on peut envisager suivant les pays, suivant les peuples plutôt, mais il n’en reste pas moins qu’à l’intérieur de chaque système moral, de chaque système de règles valant de manière impérative, au sens vraiment de l’impératif absolu, on peut se demander si ce système pourrait être augmenté, c’est-à-dire s’il pourrait être de plus en plus exigeant.
On peut présenter cette première partie comme étant une forme de prise en compte et de réponse à une objection relativiste qu’on pourrait faire à Durkheim. Ce tout début du texte pose de nombreuses questions, notamment la question du déterminisme, puisqu’il dit : « chaque peuple a sa morale qui est déterminée par les conditions dans lesquelles il vit », donc on pourrait se lancer dans un propos sur le déterminisme, mais puisque ce n’est pas le sujet fondamental du texte, il faut le faire de manière assez brève.
Je rappelle donc juste que la notion de déterminisme renvoie à la notion de nécessité, de ce qui ne peut pas être autrement, et on pouvait se demander par exemple de quelles conditions veux ici parler Durkheim : conditions naturelles dans lesquelles un peuple vit, le climat etc.
les ressources disponibles, est-ce qu’il s’agit d’un peuple sédentaire ou nomade, comment il produit ses moyens d’existence… Donnons un exemple précis pour illustrer le propos de Durkheim : au Paraguay, chez les chasseurs-cueilleurs Aché ou Guayaki du xxème siècle, tels qu’ils ont été décrits par Pierre Clastres, il y a un impératif fondamental qui est le suivant : les animaux qu’on a tué, on ne doit pas les manger soi-même.
Cette règle, qui serait qualifiée de règle morale par Durkheim, et probablement parfaitement appropriée à leurs conditions de vie, si on suit l’interprétation de Pierre Clastres en tout cas, le gibier occupant une place essentielle dans leur alimentation, la règle joue le rôle de principe structurant qui fonde leur société puisqu’en contraignant l’individu à se séparer de son gibier, elle oblige à faire confiance aux autres, à se considérer donc comme dépendant des autres, elle garantit par là-même la solidité et la permanence du lien social.
Je précise au passage que je mettrai peut-être un corrigé complet dans la description, rédigé, puisque c’est jamais la même chose finalement d’avoir des indications et d’avoir vraiment un corrigé rédigé.
Ensuite il y a ce passage dans lequel Durkheim parle d’inculquer à un peuple une autre morale ; du point de vue historique ça fait beaucoup penser quand même à une entreprise de colonisation, par exemple de christianisation, et Durkheim fait la remarque que, si un ensemble de règles est conforme ou bien adapté à des situations objectives de vie, alors toute réforme morale, n’étant pas une réforme des conditions de vie, ne peut qu’aboutir à une sorte de désastre qu’il appelle une « désorganisation ».
Puis, donc, Durkheim en vient à la question qui l’intéresse : la morale de chaque société, prise en elle-même, ne comporte-t-elle pas un développement indéfini des vertus qu’elle recommande ? Quand bien même on relèverait une diversité infinie de morale ou de règles collectives, est-ce que chaque société prise isolément, prise pour elle-même, ne serait pas prise dans un mouvement de progrès indéfini, c’est-à-dire sans terme, sans achèvement possible, un progrès vers une moralité toujours plus grande ? Cette question, Durkheim va la traiter en deux temps ; si on appelle sa thèse la thèse du caractère fini de la moralité, on va voir qu’il y a deux sens dans lesquels la moralité est finie.
On passe donc à la deuxième partie du texte, dans laquelle Durkheim fait une étude que l’on peut qualifier d’interne à la moralité ; il s’agit de montrer que les différents devoirs moraux sont dans une situation d’équilibre les uns avec les autres, je cite : « tout devoir est fini, il est limité par les autres devoirs ».
Pour justifier cet énoncé, qui n’a rien d’évident par lui-même, Durkheim reprend alors une bipartition classique des devoirs, consistant à dire que tout devoir est soit un devoir envers soi-même, soit un devoir envers autrui.
Sans cette bipartition, il ne serait pas possible de justifier l’énoncé, on aurait simplement une liste potentiellement très longue de nos différents devoirs moraux, et il serait extrêmement difficile de montrer que la somme totale de devoir n’augmente jamais ; et j’utilise ici le vocabulaire de la somme, vocabulaire quantitatif, qui peut paraître surprenant, mais c’est bien de cela dont il s’agit.
Une fois donc que l’on a compris que l’on pouvait répartir tous nos devoirs moraux en devoirs envers soi-même et devoirs envers autrui, il est possible de montrer que le premier ensemble limite le deuxième et inversement ; on ne peut se donner trop complètement à autrui sans s’abonner soi-même et on ne peut développer à l’accès sa personnalité sans tomber dans l’égoïsme, donc il y a une sorte de somme à jeu nul : si je développe davantage mon altruisme, alors je renonce aux soucis de moi-même ce qui au bout d’un moment n’est plus tenable, et inversement si je développe au maximum mes compétences, mes qualités, mes facultés, alors je me centre sur moi-même, et donc je pèche par défaut d’altruisme, je me soucie trop peu des autres.
Il y a donc une sorte d’ équilibre à trouver, il y a en vérité beaucoup d’équilibres possibles, chaque société développe son propre équilibre, néanmoins cela implique à chaque fois que la somme totale de devoir est finie, qu’elle ne peut pas augmenter, c’est ça l’idée de Durkheim.
Ici, comme je disais plus haut, on pourrait envisager de constituer une sorte de discussion critique entre Durkheim et Kant. Kant, par exemple dans la Métaphysique des mœurs, dans la « doctrine de la vertu » plus précisément, a opposé les devoirs envers soi-même et les devoirs envers autrui ; parmi les devoirs envers soi-même, il y a selon Kant le fait de développer nos facultés naturelles, et parmi les devoirs envers autrui il y a notamment le devoir de [bienfaisance], le devoir d’assister les autres quand ils sont dans le besoin, et Kant n’envisage pas vraiment une sorte de limitation de l’un par l’autre ; il semble qu’on pourrait être à la fois être plus exigeant par rapport à soi-même et plus bienveillant ou plus solidaire avec les autres, sans atteindre la limite dont veux parler ici Durkheim ; néanmoins puisqu’on est dans une explication de texte sur Durkheim, il faut donner sa chance au texte, et remarquer quand même qu’il a un argument : toute personne qui se concentre sur le développement de ses propres facultés et ramenée vers elle-même, et donc on risque l’individualisme dans ce type d’attitude.
Inversement il y a aussi une limite à la générosité, je ne peux pas donner au point d’être moi-même dans le besoin, et on peut donc parler d’une limite interne à la morale elle-même, puisqu’elle est composée de plusieurs devoirs qui doivent s’agencer les uns par rapport aux autres, s’équilibrer les uns avec les autres.
Notons que cette notion d’un équilibre à trouver entre les différents devoirs implique que Durkheim ne défend pas réellement un pur relativisme moral, comme on aurait pu le croire avec la ligne 1, au sens où, quelle que soit la morale dont on parle, elle doit éviter les deux écueils que son l’égoïsme pur d’un côté et le pur abandon de soi de l’autre.
Il y a donc deux bornes universelles, qui s’appliquent à toutes les morales possibles. Ensuite Durkheim va remarquer qu’il y a un deuxième sens dans lequel la moralité peut être dit finie ou limitée : l’ensemble de nos devoirs est lui-même limité par les autres exigences de notre nature dit Durkheim.
Qu’est-ce que c’est ici « notre nature » ? C’est en fait l’ensemble de nos besoins ; on pourrait dire aussi l’ensemble de nos tendances, parce que si on pense à la sexualité par exemple, on pourrait imaginer des morales avec des règles extrêmement sévères sur la sexualité, mais dans ce cas-là, on aurait toutes sortes de désagréments psychiques qui s’ensuivraient.
Il serait possible de concevoir une espèce de d’accroissement de moralité, une recherche de plus en plus forte, ou un développement quantitatif, mais là ce n’est plus souhaitable. Dans la deuxième partie du texte, on avait une sorte d’impossibilité logique à penser un accroissement de la moralité, une augmentation quantitative de moralité ; dans ce deuxième sens, c’est possible logiquement mais ça n’est plus souhaitable, parce que cela s’oppose à la vie elle-même.
L’exemple de Durkheim, ce sont les règles morales relatives à la richesse : on sait qu’il y a beaucoup de règles morales ou religieuses (la morale et la religion allant de pair, ce sont du sacré chez Durkheim), il y a beaucoup de règles morales qui portent sur la richesse, par exemple il est interdit dans un certain nombre de sociétés de faire du prêt à intérêt, dire à quelqu’un qu’on va lui prêter une certaine somme mais qu’il devra nous rendre l’année prochaine une somme supérieure, cela est contraire à la morale d’un certain nombre de peuples.
Dans la définition de la moralité par Durkheim, il y a simplement l’idée de la règle qui vaut absolument, parce qu’on considère qu’elle est bonne, et donc on pourrait fixer toutes sortes de règles morales, y compris un vœu de pauvreté par exemple.
On pourrait considérer qu’il est immoral de s’enrichir, on pourrait considérer qu’il est immoral de se soigner par exemple ; il existe des courants religieux dans lesquels on n’a pas le droit de se soigner de telle ou telle manière.
Et l’idée de Durkheim, c’est donc qu’il faut en quelque sorte freiner cet appétit de la morale à dévorer tous les secteurs de la société, ou tous les secteurs de la vie, en mettant des règles un peu partout.
Ici on peut souligner une petite difficulté du texte : autant on comprend facilement pourquoi l’interdiction de toute forme de richesse pourrait constituer une sorte d’ entrave pour la survie de la société, puisque si tout le monde doit être pauvre, dans ce cas-là à la moindre difficulté, à la moindre intempérie, on n’a aucun stockage alimentaire par exemple, et donc c’est la famine assurée ; mais il y a une difficulté sur l’autre côté, c’est-à-dire le moment où Durkheim dit « voir dans la richesse le bien par excellence serait aussi funeste » ; donc là il faut développer une interprétation, en signalant éventuellement dans la copie que l’on n’est pas sûr, qu’on va proposer un sens, et qu’ il pourrait y avoir plusieurs sens possibles.
Une possibilité d’interprétation consiste à dire que, si on fait de la richesse le bien par excellence, ce qu’Aristote aurait sans doute appelé la chrématistique (le fait d’accumuler la richesse indéfiniment sans but, sans lien avec quelque chose que l’on voudrait se procurer grâce à cette richesse), donc le problème de cette attitude, c’est qu’elle peut en venir à contredire totalement l’impératif de solidarité ; cette attitude pourrait même être tout à fait défavorables aux autres membres de ma société puisque si mon but c’est de m’accaparer pour moi toutes les richesses de notre région, dans ce cas-là les autres n’ont plus rien pour vivre et mourront, si je vais vraiment jusqu’au bout de la logique qui consiste à faire de la richesse ma seule et unique préoccupation.
Mais cette attitude est évidemment ruineuse puisque si ma société meurs, je meurs également, donc on voit que sur ce sujet comme sur les autres, il faut trouver une sorte de juste milieu.
Alors à propos de cette notion de « juste milieu », elle était extrêmement pertinente pour ce texte ; elle vient d’Aristote, de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote ; j’en ai dit d’ailleurs quelques mots dans ma deuxième vidéo sur l’Ethique à Nicomaque, vers la fin.
Aristote propose une sorte de tableau des vertus, qui sont toujours à considérer comme un juste milieu entre un défaut et un excès ; par exemple Aristote dit qu’il faut cultiver le courage, qui est le juste milieu entre la lâcheté et la témérité ; la maîtrise de soi ou la tempérance, juste milieu entre l’intempérance et l’insensibilité ; la générosité ; juste milieu entre l’avarice et la prodigalité ; la magnificence, l’ambition avec modestie, la douceur, la franchise ; l’enjouement, par opposition d’un côté à la morosité, de l’autre côté à la bouffonnerie ; l’amabilité, la justice, la sagacité, à chaque fois on voit qu’il y a un défaut, un excès, et un juste milieu.
On peut faire une comparaison intéressante entre le texte de Durkheim et la doctrine du juste milieu chez Aristote, mais il faudrait essayer de montrer que Durkheim applique en quelque sorte la doctrine du juste milieu à la moralité elle-même, c’est-à-dire qu’on pourrait avoir un excès de moralité, un défaut de moralité, et puis une sorte de moralité du juste milieu.
Mais c’est ça précisément qui rend la thèse de Durkheim un peu étonnante ; Aristote répondrait assez simplement : on ne peut jamais être trop courageux, puisque justement [si on est] si on prend trop de risques, ça n’est plus du courage, c’est de la témérité, par exemple, donc on pourrait se demander si l’application des concepts d’excès et de défaut à la moralité elle-même fait vraiment sens.
Alors je vais répondre directement à l’objection que j’ai faite au texte, c’est comme ça qu’on explique un texte, c’est (en partie) en lui faisant des objections et en répondant nous-mêmes à ces objections.
Si Durkheim écrit qu’il peut y avoir un excès de moralité, c’est parce qu’il définit la moralité indépendamment de la notion (finalement) de raison ; dans la tradition philosophique (je dirais) la plus classique, par exemple chez Aristote -ça vaudrait aussi pour Kant par exemple- il faut nécessairement faire un lien entre moralité et raison, c’est-à-dire que ce qui n’est pas rationnel est en même temps immoral, et ce qui est rationnel ou raisonnable est moral ; tout cela pourrait se décliner de plein de manières différentes mais là je ne rentre pas dans le détail puisque justement chez Durkheim on a un concept qu’on pourrait dire sociologique de morale, c’est-à-dire qu’il s’agit des règles des gens, des règles que les gens considèrent comme importantes par elles- mêmes, et qu’ils considèrent comme assez haut dans la hiérarchie des normes, voir sacrées.
Et donc, ces règles, ça peut être tout et n’importe quoi : de ce point de vue, il est évident qu’on peut en faire trop en matière de moralité, puisque l’on pourrait en faire trop du point de vue de la survie elle-même.
Alors, ce qu’on pourrait faire aussi comme nouvelle objection au texte, c’est : pourquoi considérer la survie elle-même comme une sorte de valeur absolue ? Il y aurait peut-être des morales dans lesquelles la vie ici-bas n’aurait pas de valeur par rapport à une vie dans l’au-delà, et donc au fond une règle morale qui mènerait à la perte de la société qui l’adopte, ce ne serait pas forcément quelque chose de très grave.
Ici Durkheim on peut dire pose comme présupposé que la morale garde le juste milieu si elle permet sa propre survie, ça, c’est un présupposé du texte, donc il faut le dire, il faut l’identifier en tant que présupposé, on peut ensuite éventuellement mener une discussion critique par rapport à ce présupposé, mais ici je ne le ferai pas, je me contente de le remarquer.
Il faut quand même ajouter une dernière chose à propos de cette idée selon laquelle la morale est au service de la vie, et donc ne doit pas se retourner contre la vie elle-même ; Durkheim en parle à la fin du texte, c’est vraiment l’objet des quatre dernières lignes : il peut donc y avoir des excès de morale dont la morale d’ailleurs est la première à souffrir, car comme elle a pour objet immédiat de régler notre vie temporelle, « elle ne peut nous en détourner sans tarir elle-même la matière à laquelle elle s’applique ».
C’est un passage qui a l’air assez compliqué, mais qui ne l’est pas tant que ça, il faut expliquer la notion de « vie temporelle », c’est la vie dans l’ici-bas, dans le monde de l’expérience, que nous pouvons voir, que nous pouvons toucher, par opposition à une vie spirituelle, qui elle est globalement assez indépendante de la question des besoins, de la question de la survie matérielle.
Durkheim essaye donc de présenter comme auto-contradictoire une morale qui serait si exigeante qu’elle ne permettrait plus sa propre perpétuation. Durkheim ne parle pas simplement d’une morale qui serait tellement outrée, tellement excessive ou exagérée qu’elle aboutirait à un danger pour la survie, il veut aussi simplement parler du fait que de lourdes limitations morales reviendraient à interdire un très grand ensemble de pratiques au lieu de réglementer ces pratiques, par exemple si j’interdis toute forme de sports, alors je ne peux plus avoir de règles morales concernant les pratiques sportives, je ne peux plus avoir les règles du fair-play, les règles du respect de l’adversaire, ce genre de choses.
La thèse de Durkheim selon laquelle un excès de moralité aboutit à une forme d’auto-contradiction de la moralité a aussi ce sens. Il est temps de conclure, je vous propose une conclusion rédigée.
Ainsi, Durkheim défend la thèse suivant laquelle il ne faut pas imaginer qu’un progrès indéfini de la moralité serait possible. Si par progrès de la moralité, on entend le renforcement d’un des devoirs qui composent une morale donnée, alors ce renforcement se ferait au détriment des autres devoirs particuliers de cette morale ; un progrès vers davantage de moralité n’est donc pas possible dans ce sens.
Si par progrès de la moralité, on entend une emprise toujours plus grande de règles morales sur les différents domaines de la vie, alors ce progrès n’a rien de nécessairement souhaitable, il peut devenir très gênant voire impossible si de telles exigences remettent en cause la satisfaction de nos besoins naturels.
Vous voyez que dans ma conclusion, j’ai distingué très nettement les parties 2 et 3 du texte, qui renvoient à des idées quand même très différentes l’une de l’autre. Dans le reste de ma conclusion, je vais me permettre une petite critique de Durkheim : Notons que cette thèse de Durkheim n’est possible que parce qu’il envisage la morale sans faire appel à la notion d’une rationalité morale, la morale apparaît ici comme un ensemble d’impératifs conçus comme dotés d’une valeur intrinsèque, quels qu’ils soient.
Une optique davantage rationaliste aboutirait à une conclusion différente, puisque si la morale se doit par définition d’être rationnelle, alors l’idée d’un progrès indéfini dans la moralité devient beaucoup plus facile à envisager.
Je fais ici implicitement allusion à la philosophie de Kant, j’en dirai peut-être davantage dans la version écrite de ce corrigé. On arrive à la fin de cette vidéo, j’espère qu’elle vous aura éclairé sur ce texte difficile ; l’une des leçons qui me semble important d’en tirer, c’est que l’explication de texte n’est pas nécessairement la solution de facilité, et parfois on a des textes très compliqués, qui nous donne beaucoup de fil à retordre.
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